Brossard, mercredi, le 11 avril 2018 - Le sujet est sur toutes les lèvres. Des deux côtés de la frontière. Ça arrive plus souvent chez nos voisins, mais ça arrive aussi chez nous. Columbine, Sandy Hook, Polytechnique, Dawson, Parkland. Les fusillades dans les écoles frappent l’imaginaire et ne laissent personne indifférent. Elles peuvent aussi provoquer un tel désespoir que certains enseignants pourraient être tentés de prendre eux-mêmes les choses en main. Après tout, monsieur Trump ne croit-il pas que l’on devrait armer les enseignants pour leur permettre de mieux défendre leurs élèves ?
par Yanik Comeau (ComunikMĂ©dia/ZoneCulture)
La pièce que propose la finissante en Écriture Dramatique 2016 de l’École Nationale de Théâtre, Elena Belyea, est présentée comme une comédie noire. Pas de doute que le sujet est sombre et que les rires – même les plus sentis et les plus fournis – sont pour le moins jaunes. Parce que, bien que l’on puisse faire feu de tout bois en humour, on est ici devant un sujet très grave, une tragédie ancrée dans le désespoir d’une femme qui n’en peut juste plus de se sentir impuissante, victime, cible facile, chair à canon.
Cette femme, c’est madame Catherine, enseignante de troisième année à l’École des Explorateurs, qui croit qu’on ne peut plus juste rester là sans rien faire, accepter une sécurité laxiste dans ce lieu d’éducation où tout le monde devrait se sentir protégé et où, pourtant, le gardien dort à son bureau, aussi efficace qu’un chien de garde qui lécherait la main du voleur qui ferait irruption chez vous au milieu de la nuit. Et que dire de monsieur Christopher, le directeur, qui arrive avec ses diplômes mais qui est aussi stupide et incompétent qu’une pierre. Il ne serait pas plus utile qu’une pierre devant un tireur qui ferait irruption dans sa belle école avec une arme semi-automatique non plus, selon madame Catherine.
Elle, elle considère que ses petits bouts de chou de la classe 3B devraient posséder les outils et les connaissances pour sauver leurs peaux si l’École des Explorateurs devait soudainement s’inscrire dans les tristes statistiques. Elle leur donnera donc elle-même – n’en déplaise à la direction, à ses collègues, aux parents – une dernière leçon en cette avant-dernière journée d’école avant les vacances d’été, sa dernière journée à elle, elle le sait aussi.
D’une efficacité hallucinante, le "one-woman-show" d’Elena Belyea oscille entre un humour d’une absurdité délirante (mais on se demande si c’est si absurde que ça dans le monde de fous dans lequel nous vivons) et une vision troublante et apocalyptique des structures pensées par l’être humain. Habilement traduite par Olivier Sylvestre, la pièce est défendue par une Alice Pascual non seulement criante de vérité mais complètement fondue dans le personnage comme si, en réalité, il ne s’agissait pas d’un texte, d’une partition d’une précision chirurgicale.
Dans la mise en scène de Jon Lachlan Stewart, la comédienne est appelée à s’adresser directement au public comme à ses élèves et – de surcroit – à certains spectateurs identifiés par des étiquettes nominales, créant une proximité avec son auditoire qui ne fait qu’ajouter à l’absurdité tout autant qu’au réalisme. À la fois amusant et dérangeant.
Troisième pièce de la saison où l’on assiste à un «monologue» d’enseignant au propos clair et perturbant (on se rappellera la nouvelle production de «Bashir Lazhar» au Centre du Théâtre d’aujourd’hui à l’automne et la reprise de «Des promesses, des promesses» toujours à l’affiche de la Petite Licorne, qui multiplie les séries de supplémentaires), il est difficile de ne pas penser qu’il y a clairement quelque chose dans l’air. Le théâtre reflet de sa société? Poser la question, c’est y répondre. Et même si madame Catherine comme telle semble convaincue d’apporter des réponses claires à un problème qui la dépasse, ce qu’elle fait plutôt, c’est nous convaincre du contraire.
Mais Elena Belyea, Olivier Sylvestre, Jon Lachlan Stewart et Alice Pascual, eux, nous convainquent qu’il faut vivre l’expérience théâtrale proposée à la salle intime du Prospero.
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«Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable» de Elena Belyea
Traduction: Olivier Sylvestre
Mise en scène: Jon Lachlan Stewart
Avec Alice Pascual et la participation de Frédéric Lavallée
Une production du Théâtre Surreal Soreal
Jusqu’au 14 avril 2018 (1h05 sans entracte)
*** Supplémentaires 7 et 14 avril à 20h15 et dimanche 15 avril 15h
Surtitres anglais pour les représentations du mardi 3 et 10 avril.
Théâtre Prospero – salle intime, 1371, rue Ontario Est, Montréal
Renseignements : 514-526-6582 – theatreprospero.com
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