* Critique: Théâtre: «Philadelphia High School» de Jonathan Caron: Fanfriction
Écrit par : yanik
Verdun, samedi, le 24 mars 2018 - Depuis quelques années, les séries jeunesse à saveur de soaps ont la cote. Ça remonte à «Beverly Hills, 90210» (qui a même connu un "reboot" y a pas si longtemps) et «Degrassi» jusqu’à «One Tree Hill», «Gossip Girl» et «Pretty Little Liars» plus récemment. Jusqu’à un certain point, on pourrait même dire que des séries comme «The 100» et «Riverdale» s’inscrivent dans la même vague. Avec l’explosion d’internet, la télé de son temps a donné naissance à toutes sortes de web séries inspirées des séries populaires, de vlogs où jeunes et moins jeunes parlent de leurs séries et personnages préférés, de fanfictions dans lesquels tout un chacun s’improvise auteur et invente des univers parallèles, de nouvelles finales, des couples qui n’ont jamais existé (on appelle ça «shipper» des couples, deux personnes ensemble).
par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)
Que Jonathan Caron, auteur et metteur en scène, ait eu envie de s’inspirer de cet univers de la télé pour la jeunesse – l’Américaine plus particulièrement – celle que VRAK-TV nous sert traduite ici, n’a rien d’étonnant. Le terreau est fertile et les croustillantes opportunités de parodies sont infinies. «Philadelphia High School» apparaissait donc comme un «Cœur a ses raisons» théâtral à la sauce adolescente. Que l’auteur ait voulu amener la chose plus loin en optant plutôt pour un gang d’adolescents qui visionne l’épisode final de sa série favorite et, révolté par sa conclusion à la «Misery» de Stephen King, décide de tourner une fanfiction qui proposera une finale plus satisfaisante à ses yeux, est une excellente idée qui, malheureusement, dérapera tristement avant la fin.
«Philadelphia High School», la série américaine fictive originale, qui peut rappeler «Friday Night Lights», «Hellcats» et même «Glee» jusqu’à un certain point, semble assez conventionnelle, traditionnelle, "boy meets girl" et tous les dérivés – tromperies, secrets, coming out, grossesses non-désirées – auxquels on s’attend dans un tel feuilleton. Et on se plait bien dans tous les clichés que l’auteur nous sert habilement dans la première partie de la pièce. On achète même l’idée que ces jeunes francophones à l’anglais plus que douteux puissent se distribuer les personnages de leur série étatsunienne favorite et en fassent un "spin off" sur le web qui remporte un certain succès (même que ça devienne la plus populaire des fan fictions de "PHS" – En terme d’écriture de soaps, on appelle ça «suspension of disbelief» – suspension consentie de l’incrédulité – merci, Linguee!), mais à partir du moment où les personnages de Caron décident de bifurquer vers des histoires de vampires et de tomber dans le surnaturel, il est bien difficile de ne pas décrocher de la pièce. Là où l’on aurait pu se plaire dans l’absurde, l’histoire dérape plutôt dans le ridicule et la trame narrative en prend sérieusement pour son rhume.
Et bien que ça gâte quelque peu l’ensemble, on ne peut pas dire que le soufflé se dégonfle complètement alors, en bout de ligne, on aura quand même un dessert qui satisfait. Cela étant dit, Jonathan Caron gagnerait peut-être à retrancher les trente dernières pages (mon estimation, s’il a imprimé à double interligne!) et à recréer une nouvelle fin, comme ses personnages ont voulu faire avec leur série favorite. Parce que la version que l’on nous propose présentement semble avoir eu beaucoup trop de doigts dans le pouding.
La prémisse de «Philadelphia High School» est non seulement pleine de potentielle, mais encore la mise en scène est vigoureuse, dynamique, entraînante et la jeune distribution est remarquable. On s’amuse, on se bidonne, on reconnaît tous les prototypes de personnages dont il fait bon se moquer. «Philadelphia High School» trouvera un public qui prendra plaisir à rire lui-même des séries-bonbon qu’il consomme comme "guilty pleasure" ou sur lesquelles il lève le nez parce qu’elles sont trop sirupeuses et insignifiantes pour son cerveau supérieur. C’est juste qu’à la fin, on se met à froncer des sourcils et à avoir hâte que ça se termine. Dommage. Et ce n’est pas seulement l’opinion de votre tout-dévoué homme de théâtre qui aura 50 ans cette année. C’est aussi l’opinion d’une ado qui en a vu une et une autre, de ces séries, et qui consomme des fanfictions comme d’autres consomment des bandes dessinées.
Cela étant dit, la première production de Rouge arrête Vert passe s’inscrit très bien dans une programmation «fredbarryienne», dans une programmation variée, mais néanmoins tournée vers la jeunesse, un menu cette année qui nous a aussi offert les excellents «Doggy dans Gravel», «Antioche» et «Les Aventures de Lagardère». On a hâte aux prochains spectacles de cette jeune compagnie, toute nouvelle et toute fraîche.
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«Philadelphia High School»
Texte et mise en scène: Jonathan Caron
Avec Geneviève Bédard, David Bourgeois, Yannick Coderre, Katrine Duhaime, Marie-Ève Groulx, Marina Harvey, Alexandre Lagueux, Simon Landry-Désy, Magali Saint-Vincent et Kevin Tremblay
Une production L’Escadron Création et Rouge arrête Vert passe
Jusqu’au 31 mars 2018 (1h25 sans entracte)
Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal
Réservations : 514-253-8974 http://www.denise-pelletier.qc.ca/