* Critique: Théâtre: «Les Robots font-ils l’amour?» d’Angela Konrad: À la recherche de l’humain
Écrit par : yanik
Verdun, vendredi, le 9 mars 2018 - Dans le cadre de sa résidence de création à l’Usine C, Angela Konrad arrive avec un spectacle beaucoup plus concluant que son «Last Night I Dreamt that Somebody Loved Me» de l’automne. Pas que ce spectacle n’était pas intéressant (voir ma critique sur ZoneCulture), mais avec «Les Robots font-ils l’amour?», elle semble avoir développé davantage l’œuvre dramatique et avoir mis plus de viande autour de l’os. Peut-être parce que le matériau de base, les essais scientifiques dans lesquels elle puise, est plus riche ? Allez savoir.
par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)
Pourtant, le spectacle ne commence vraiment pas comme un objet théâtral qui va transcender la froideur, la rigidité et l’hermétisme des données et théories élaborées dans l’œuvre de celui que le Nouvel Observateur a qualifié de «gourou de l’intelligence artificielle», le chirurgien-urologue Laurent Alexandre, et son coauteur le philosophe Jean-Michel Besnier. On craint qu’Angela Konrad n’ait pas été capable de s’écarter du carcan qu’elle s’est créé en situant sa pièce dans le cadre d’un colloque de scientifiques – aussi colorés et farfelus soient-ils – qui viendront nous jeter au visage leurs théories et points de vue sur le transhumanisme, l’avenir de l’intelligence artificielle et, bien sûr, où l’humain s’en va dans sa quête de se satisfaire sexuellement et émotivement.
Heureusement, rapidement, les personnages, bien que toujours plutôt caricaturaux, nous emmènent ailleurs et sortent de leurs discours trop académiques qui auraient pu perdre les non-scientifiques dans le public (dont votre tout-dévoué). «Les Robots font-ils l’amour?» devient une véritable pièce de théâtre et les personnages prennent forme, s’incarnent, «s’humanisent» (presque tous!), permettant ainsi au fond de ne pas noyer la forme. On se laisse prendre au jeu et ce qui voulait d’abord apparaître comme une conférence, une table ronde sérieuse, finit par dégénérer en une délicieuse fricassée, une savoureuse lutte verbale qui partira dans toutes les directions mais ne s’écartera pas complètement de l’importance de son message. Ingénieux, divertissant et intelligent tout à la fois.
Pour leur part, les comédiens sont absolument tous brillants. Quel plaisir de retrouver sur scène Marie-Laurence Moreau dans le rôle d’une sexologue française à la fois débridée et désespérée ! Dernièrement, les fans de télé ont pu l’apprécier dans "Les Simone", "District 31" et "Olivier", mais je me rappelais l’avoir découverte dans "Penthouse 5-0" dans lequel elle jouait un personnage névrosé et délicieusement «malaisant». Dans «Les Robots font-ils l’amour?», elle prend le contrôle du plateau par moments et «drive» l’histoire avec talent.
Que dire de Philippe Cousineau qui m’avait impressionné dans «La Femme la plus dangereuse du Québec» à la salle Fred-Barry cet automne et que je n’ai reconnu ici que dans les dernières minutes de la pièce? Incroyable! Une métamorphose formidable qu’il nous offre dans le rôle de ce triste chercheur allemand, veuf et père d’une enfant trisomique qu’il aime plus que tout au monde.
Après avoir épaté tout le monde dans «Les Enivrés» et la reprise de «Le Brasier» plus tôt cette saison, voilà que Dominique Quesnel remonte encore sur scène pour incarner une chercheure québécoise, une sorte de disciple de Jane Goodall, qui déteste les colloques universitaires et qui ne se gêne pas pour le dire! Ni pour partager ses points de vue et ses convictions. Encore une fois, la comédienne cartonne.
C’est aussi le cas de Lise Roy que j’ai également pris un moment à reconnaître sous sa perruque noire malgré sa voix si distinctive. Physiquement, elle compose un personnage complètement à l’opposé de sa Louise dans La Meute de Catherine-Anne Toupin à La Licorne le mois dernier. Dans «Les Robots font-ils l’amour?», elle incarne une artiste éclatée, à la sexualité débridée, faisant à la fois rire aux éclats et laissant bouche bée par moments. Quelle comédienne!
On ne peut pas non plus passer sous silence l’excellente contribution de Stéphanie Cardi qui complète cette distribution exemplaire et sans faille.
Enfin, «Les Robots font-ils l’amour?» s’avère une belle découverte qui s’inscrit parfaitement dans la recherche humaniste, sociologique et philosophique d’Angela Konrad, une artiste qu’il fait bon découvrir de spectacle en spectacle.
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«Les Robots font-ils l’amour?»
Adaptation et mise en scène: Angela Konrad
D’après «Les Robots font-ils l’amour?» de Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier, «Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme» et «Le Livre de la pauvreté et de la mort» de R.M. Rilke
Assistance à la mise en scène: William Durbau
Costumes et décor: Angela Konrad
Conception lumières: Cédric Delorme-Bouchard
Conception son: Simon Gauthier
Conception vidéo: Julien Blais
Avec Stéphanie Cardi, Philippe Cousineau, Marie-Laurence Moreau, Dominique Quesnel et Lise Roy.
Une coproduction de Compagnie La Fabrik et Angela Konrad
Jusqu’au 10 mars 2018 (1h45 sans entracte)
Usine C, 1345, avenue Lalonde, Montréal
Réservations : 514-521-4493