* Critique: Théâtre: «Jean dit» de Olivier Choinière: Jurez-vous de dire toute la vérité?
Écrit par : yanik
Verdun, mardi, le 6 mars 2018 - Un des pires souvenirs de théâtre que j’aie demeure «Venise-en-Québec» créée au Théâtre d’aujourd’hui en 2006. Depuis ce temps, j’avais évité les pièces d’Olivier Choinière comme la peste. J’ai bien attrapé quelques-unes de ces excellentes traductions au fil des années (je pense tout particulièrement à «Cette fille-là » de Joan MacLeod avec Sophie Cadieux), mais je craignais cet auteur comme un chat échaudé craint… vous connaissez la suite. Depuis des mois, je me préparais au pire avec la création de «Jean dit», encore au Théâtre d’aujourd’hui… d’autant plus qu’on nous promettait un band death metal en direct sur scène, de surcroît, et que j’avais l’impression qu’on faisait tant de promotion autour de ce «mystérieux» spectacle, qu’on ne pourrait pas faire autrement que de se planter royalement ! Rien pour me convaincre que j’allais passer une belle soirée.
par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)
Finalement, toutes mes craintes se sont rapidement envolées en fumée. La pièce, extrêmement bien ficelée, beaucoup plus limpide et claire sans pour autant être ordinaire ou traditionnelle, propose une histoire claire, lucide, un point de vue critique mais sensible et accessible qui peut rejoindre tout le monde. Et la musique death metal? Étonnamment bien intégrée au propos, à la mise en scène, au texte.
Si on m’avait dit que je passerais presque deux heures assis devant une pièce d’Olivier Choinière avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles, savourant des dialogues brillants, livrés par des interprètes à l’aise dans cet univers et en pleine possession de leurs moyens, je ne l’aurais pas cru. Me voilà réconcilié avec cet auteur qui me faisait si peur et qu’on me disait de ne pas balayer trop rapidement du revers de la main.
«Jean dit», c’est une immense fresque livrée par douze comédiens, structurée un peu comme «La Ronde» de Arthur Schnitzler avec ses scènes courtes et efficaces auxquelles s’ajoutent les personnages un à la fois. Rafraîchissant et intéressant à la fois comme proposition. On prend quelques minutes pour comprendre où l’auteur veut nous amener mais on adopte rapidement l’idée et on se laisse entraîner dans cette histoire, dans cette critique de la société dans laquelle nous vivons, cette société où il est si facile de devenir des moutons, où il devient si facile d’entraîner les brebis égarées quand on leur propose une solution simple dans leur quête «d’absolu», comme l’appelle l’auteur lui-même dans le programme.
La pièce commence avec Luc (Éric Forget) qui drague Sonia (Émilie Gilbert), mère monoparentale, dans un bar. Il l’approchera d’une manière qui la rebutera complètement au premier abord, mais… contre toute attente, la convaincra de le suivre comme par magie, d’adhérer à une philosophie de la vérité qui n’est pas étrangère aux sectes, à certaines religions, aux mouvements ésotériques ou de croissance personnelle. Rapidement, Maxime (le fils de Sonia, incarné par Lévi Doré), la meilleure amie de Sonia (Noémie Leduc-Vaudry), Michel l’itinérant (Sébastien Dodge), Pierre le patron d’entreprise (Leo Argüello), Béatrice, médecin (Sylvie De Morais-Nogueira), Mathieu le prof d’histoire de Maxime (Sébastien Rajotte)… jusqu’à Robert le Premier Ministre (Didier Lucien) «achèteront» tour à tour ce que Jean propose, ce que Jean dit. Et pour ponctuer les scènes – mais pas seulement pour ça et comment ne pas apprécier l’inventif bouclage de boucle dans les dernières minutes de la pièce ? –, on aura droit à la musique (beaucoup moins agressante que ce que je craignais – merci aussi aux paroles des «chansons» projetées sur grand écran) du band Jean Death, ingénieusement intégrée au texte par Olivier Choinière-metteur en scène.
En bout de ligne, que l’on soit fan ou non de l’auteur, fan ou non de death metal, fan ou non de théâtre même, «Jean dit» s’avère un événement culturel, social et théâtral d’une étonnante universalité. Encore une fois, Sylvain Bélanger, directeur artistique du Centre du Théâtre d’aujourd’hui frappe dans le mil. Quelle saison formidable que celle-ci, tant dans la salle Jean-Claude-Germain que dans la salle principale.
«Jean dit» est à voir sans faute… et en toute confiance !
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«Jean dit» de Olivier Choinière
Mise en scène: Olivier Choinière
Avec Leo Argüello, Sylvie De Morais-Nogueira, Sébastien Dodge, Lévi Doré, Éric Forget, Émilie Gilbert, Johanne Haberlin, Noémie Leduc-Vaudry, Didier Lucien, Sébastien Rajotte, Julie Tamiko Manning et Lesly Velázquez
Musique sur scène: Sébastien Croteau, Mathieu Bérubé, Étienne Gallo et Dominic Forest Lapointe (Jean Death)
Une création de L’ACTIVITÉ et du Centre du Théâtre d’aujourd’hui
Jusqu’au 17 mars 2018 (1h50 sans entracte)
Salle principale – Centre du Théâtre d’aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal
Réservations : 514-282-3900