* Critique: Cinéma: «Pour vivre ici» de Bernard Émond: Comme une superbe collection de cartes postales
Écrit par : yanik
Verdun, le 20 février 2018 - Les films du réalisateur et scénariste Bernard Émond («0h17 rue Darling», «La Femme qui boit», «La Neuvaine») sont attendus comme le printemps après un hiver difficile. Même quand ils sont noirs, sombres, durs, ils font du bien. Son tout dernier opus, «Pour vivre ici», ne fait certainement pas exception. En fait, c’est peut-être son film le plus "feel good" en carrière. Pour certains, ce sera un reproche. Mais en cette période de triste chaos que vit le "peoplekind", la glorieuse collection de cartes postales que nous propose notre «bon père de famille» du cinéma québécois est un baume, un vent de fraîcheur sur nos âmes meurtries.
Par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)
L’histoire, pourtant, n’est pas joyeuse d’emblée. Monique perd son mari. Après le passage éclair de ses enfants et de l’ex de son plus jeune pour les funérailles, elle sent la maison de Baie-Comeau bien vide. Elle accepte donc l’invitation de son fils et de sa fille de leur rendre visite à Montréal, mais est reçue comme un chien dans un jeu de quilles. Cruel constat social des nouvelles règles de deuil. Heureusement, il y a Sylvie, l’amoureuse du défunt François qui travaille avec les enfants autistes et qui l’accueille comme une vieille amie retrouvée. Après un moment, Monique sentira la route l’appeler et se laissera conduire jusqu’à la petite ville de Sturgeon Falls dans le Nord-Est ontarien où elle est née. Elle découvrira qu’il reste bien peu de choses de l’enfance ou de la famille qu’elle a laissées plus de quarante ans auparavant. Lorsqu’elle reviendra de son road trip solitaire, elle en fera un dernier avec Sylvie, bouclant la boucle d’un deuil vécu sainement.
Plus que jamais, Bernard Émond nous offre un scénario où tout n’est pas dit. Où tout n’a pas besoin d’être dit. Tout le long du film, un long fleuve tranquille, série de magnifiques plans éloignés mettant en valeur la beauté des paysages de la Côte Nord, du majestueux Saint-Laurent à son plus ouvert, on se pose des questions. Qui est cette femme – la voix chaude et réconfortante de la sublime Angèle Coutu – qui nous raconte l’histoire de Monique au passé simple ? De quoi François, le plus jeune fils de Monique, est-il mort il y a si longtemps ? Et d’autres que je m’en voudrais d’énoncer ici de peur de trop dévoiler… Mais plusieurs réponses – la majorité – ne viendront pas. Et c’est correct. On a envie de remercier Bernard Émond de faire confiance à notre intelligence comme spectateur, à faire confiance à notre imagination.
Dire qu’Élise Guilbault est la muse de Bernard Émond est plus qu’un euphémisme. C’est devenu un lieu commun. Ensemble, ils en sont à leur quatrième film. Il la dirige et la photographie comme personne d’autre. Avec lui, elle est toujours à son meilleur. Il existe clairement entre eux un langage non-verbal, une fluidité dans le travail qui crève l’écran. Dans Pour vivre ici, c’est plus vrai que jamais. Élise Guilbault est authentique, vraie, touchante. Elle porte le film sur ses épaules, mais il n’a vraiment pas l’air lourd pour elle !
Dans le rôle de Sylvie, cette douce et sympathique jeune femme qui renouera avec son ancienne belle-mère aux funérailles, Sophie Desmarais est étonnamment inégale. Dans sa première scène, on l’adopte tout de suite et on veut qu’elle soit là pour Monique qui semble si heureuse de la retrouver. Plus tard, à Montréal, lorsque Sylvie parlera de son travail avec les enfants autistes, on souffre pour la comédienne. Tristement, ses répliques sont juste mal écrites ici et, même avec tous les efforts du monde, elle n’arrive pas à nous convaincre. C’est d’autant plus évident que, dans cette même scène, Élise Guilbault est toujours excellente. Comment le texte de Sylvie a pu être à ce point bâclé dans cette scène me bafoue. Cela étant dit, Sophie Desmarais, que j’ai toujours adorée (il faut la voir dans la série télé «En thérapie» avec François Papineau – magistrale !), se reprend grandement dans la deuxième partie du film, quand Monique revient de Sturgeon Falls.
Avec Jean-Pierre Saint-Louis à la direction photo, Caroline Alder à la direction artistique et Marcel Robert Lepage à la direction musicale, Bernard Émond s’est blindé pour s’assurer d’atteindre son but premier. «J'aimerais faire un film beau, un film où la beauté nous rattache au monde», avait-il déclaré à Marc-André Lussier de La Presse en février dernier, en plein tournage.
«Pour vivre ici», un titre emprunté à un poème de Paul Éluard qui aura 100 ans cette année, est en effet un beau film. Un film qu’il fait bon savourer comme un chocolat chaud après une randonnée de motoneige, devant un feu qui crépite doucement.
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«Pour vivre ici»
Scénario et réalisation: Bernard Émond
Distribution: Élise Guilbault, Amena Ahmad, Sophie Desmarais, Danny Gilmore, Claude Lemieux, Marie Bernier et la voix d’Angèle Coutu
Direction photo : Jean-Pierre Saint-Louis
Direction artistique : Caroline Alder
Direction de la production : Sylvie De Grandpré
Direction musicale : Marcel Robert Lepage
Une production de l’ACPAV
Productrice: Bernadette Payeur
En salles dès le 23 février 2018 (durée : 90 minutes)